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Tajmaat, un thème à explorer

Ici, un extrait du livre La Kabylie et les coutumes kabyles par A. Hanoteau et A. Letourneux.

L’organisation politique et administrative du peuple Kabyle est une des plus démocratiques et, en même temps, une des plus simples qui se puissent imaginer. Jamais, peut-être, le système de self-government n’a été mis en pratique d’une manière plus complète et plus radicale ; jamais administration n’a compté un nombre aussi restreint de fonctionnaires et n’a occasionné moins de dépenses à ses administrés. L’idéal du gouvernement libre et à bon marché, dont nos philosophes cherchent encore la formule à travers mille utopies, est une réalité depuis des siècles dans les montagnes Kabyles. Là, en effet, le peuple est tout et suffit à tout ; le gouvernement, l’administration, la justice, ne coûte absolument rien à la communauté. Cet état de choses est la conséquences naturelle de l’esprit d’association et de solidarité qui, à l’état d’instinct, anime ces populations. Toute la société Kabyle est constituée d’après les principes qui émanent de cet esprit ; partout on retrouve, à ses divers degrés, l’association solidaire, aussi bien dans les moindres intérêts de la vie privée que dans les relations de la famille, du village et de la tribu.
Les institutions Kabyles, quelque rudimentaires et imparfaites qu’elles soient, méritent donc, à plus d’un titre, de fixer l’attention. S’il ne peut venir à la pensée de les offrir comme modèle dans leurs procédés d’application, elles peuvent au moins fournir un curieux sujet d’études à l’observateur sérieux.
Comme toutes les institutions humaines, elles ont eu, pour le peuple qui les a adoptées, des avantages mêlés de graves inconvénients. Grâce à elles, le Kabyle, initié, par la conscience de ses droits, à la connaissance de ses devoirs envers ses concitoyens, a pu conserver jusqu’à nos jours sa liberté et son indépendance.



Organisation générale du pays Kabyle :


Taddart (le village) :

Le village est la pierre angulaire de la société Kabyle. On y retrouve tous les éléments qui la composent ; c’est là qu’elle se développe et qu’elle vit ; c’est là, et là seulement, qu’on peut l’étudier dans son ensemble et dans ses détails. Faire connaître le village, c’est donc faire connaître la société entière ; ce qui nous restera ensuite à dire de la tribu et de la confédération ne saurait avoir qu’une importance secondaire.
Le village est l’unité politique et administrative, en pays Kabyle. C’est un corps qui a sa vie propre, son autonomie : il nomme ses chefs, fait ou modifie ses lois, s’administre lui-même et peut, s’il est assez fort, se passer de ses voisins.
Le village se subdivise en fractions, nommées suivant les localités : Adroum, Axarub, Tawacult.


Arch. (la tribu) :

L’ensemble de deux ou plusieurs villages unis par certains liens d’affinité, il s’agit ici de liens politiques ou administratifs, et non de ceux qui peuvent résulter d’une communauté d’origine, le plus souvent fort difficile à établir.


Taqbilt (la confédération) :

Est la réunion de plusieurs tribus. C’est le dernier terme de la série fédérative chez les Kabyles.

Tajmaât

C’est à dire l’assemblée générale des citoyens, est l’autorité dirigeante du village, la seule, à vrai dire, puisqu’elle possède, en même temps que les pouvoirs politique et administratif, la plénitude, au moins en principe, du pouvoir judiciaire.
Ses décisions sont souveraines et elle les fait, au besoin exécuter elle-même.
L’initiative, en tout ce qui concerne les intérêts généraux de la communauté, lui appartient, et les détails les plus intimes de la vie privée n’échappent pas toujours à son contrôle. Autorité ombrageuse souvent passionnée, elle serait exposée sans cesse à subir des entraînements irréfléchis, si elle n’avait, comme contre poids, son respect pour les usages consacrés par le temps.
Ce culte des coutumes, qui honore le peuple Kabyle, et qui a été jusqu’à présent la sauvegarde de ses institutions, ne vas pas cependant jusqu’à l’entêtement aveugle, qui condamne l’immobilité. La porte reste toujours ouverte aux réformes reconnues utiles, et il n’est pa rare de voir une décision de la Djamâa abroger des prescriptions surannées pour leur substituer un règlement en harmonie avec les besoins nouveaux. Cette disposition des esprits à accepter des innovations dans ses usages est des traits essentiels qui distinguent les Kabyles des autres.
Tajmâat, comme nous l’avons dit, l’assemblée générale des citoyens. Tout homme qui atteint l’âge de majorité en fait partie, et son entrée dans la vie publique est constatée par le payement d’un droit au profit du village.
La Djemâa se réunit une fois par semaine, ordinairement le lendemain du jour du marché de la tribu. Si dans l’intervalle des séances régulières, il y’a lieu de provoquer une réunion extraordinaire, l’Amin en fait donner avis, la veille, par le crieur public.
Tous les citoyens sont tenus d’assister aux réunions de la Djamâa ; celui qui s’abstient sans motif valable ou sans une permission de l’Amin est mis à l’amende.
Les séances ont lieu en plein air, sur un terrain communal consacré à l’usage ; tout le monde est assis à terre, et les orateurs parlent de leur place sans se lever. Pendant les chaleurs ou lorsqu’il pleut, on se réunit dans la mosquée ou dans un bâtiment public bâtiment public appelé aussi Djamâa, et garni de bancs de pierre, sur lesquels les assistant prennent place.

Déroulement d’une assemblée de village :

Lorsque l’assemblée est réunie, chaque tamen fait l’appel de sa Kharouba, constate les absences et en rend compte à l’Amin, celui-ci prend la présidence, et après la récitation de la fatiha, déclare la séance ouverte. Alors il expose les motifs de la réunion et invite les citoyens à émettre leur avis.
Quand un orateur est véhément ou se sert d’expressions de nature à blesser les assistants et à troubler l’ordre, le président l’engage à la modération et au respect de l’assemblée ; s’il persiste, il lui retire la parole et, suivant les cas, le punit d’amende.
Les séances de la Djamâa sont généralement très longues. L’habitude de la vie parlementaire a donné naissance, chez les Kabyles, à une sorte d’éloquence verbeuse qui saisit toutes les occasions de se produire.
Lorsque les affaires portées à l’ordre du jour sont épuisées, on récite de nouveau la fatiha, et le président lève la séance. Aucun des assistants ne peut, sous peine d’amende, quitter l’assemblée avant ce signal.
Les décisions de la Djamâa ne sont pas rendues à la majorité des voix. Cette manière prompte et facile de terminer les discutions n’a jamais été en usage chez les Kabyles.
Dans les affaires importantes, l’unanimité est nécessaire. L’opinion e la minorité, quelque faible qu’elle soit, est toujours prise en sérieuse considération, et l’on n’oserait passer outre.
S’il n’est pas possible de se mettre d’accord, la discussion est ajournée, reprise à de longs intervalles, et souvent même abandonnée.
Le règlement e toutes les affaires en Kabylie est une suite de transactions et d’arbitrages
Les pouvoirs de la Djamâa s’étendent à tout ce qui intéresse le village. Elle fait des règlements nouveaux, quand elle le juge convenable ; abroge ou modifie les anciens ; décide la paix ou la guerre ; vote les impôts, en fixe la quantité, le mode de répartition et l’emploi ; administre directement ou par délégation les biens de la commune.
Elle aussi l’exercice du pouvoir judiciaire. Tribunal criminel, correctionnel et de simple police, elle connaît des crimes, délits et contraventions, prononce la peine de mort, et punit d’amende les moindres infractions aux règlements de voirie municipales.
Il n’est pas conservé trace des libérations de la Djamâa ; aucun procès verbal n’est dressé ; l’usage des registres est inconnu. Dans des cas très rares seulement, et lorsque les décisions offrent un intérêt majeur, elles sont constatées par écrit sur des feuilles volantes.



Eléments de l’administration du village


Amin :


La Djemâa, être collectif et, par sa nature même, inapte à veiller aux besoin journaliers de la vie sociale, choisit dans son sein un agent chargé d’assurer l’exécution de ses arrêts, de veiller au maintien de l’ordre et à l’exécution des règlements.
On le nomme, suivant les régions, Amekran (grand chef), amYar ( le vieillard, ancien), Amin (fidèle).
Il est, en effet, le gardien actif, vigilant et désintéressé de la communauté. Il prend les mesures nécessaires à sa sûreté, surveille ses besoins, maintient l’ordre et fait rentrer dans la bonne voie ceux qui voudraient s’en écarter
Administrateur des biens communaux, il veille à leur conservation, à leur entretien et à leur mise en valeur.
Il préside la Djamâa, assure l’exécution de ses décisions


Tamen :

Une fois installé dans ses fonctions par la Djamâa, l’Amin choisit lui-même, dans chacune des fractions du village, un homme chargé de lui venir en aide dans l’accomplissement de sa mission. Le nom de tamen (caution, dépendant), donné à cet auxiliaire, définit suffisamment la nature de ses devoirs. Il est responsable, envers l’Amin, de ce qui se passe dans sa fraction ; il doit le prévenir des délits qui arrivent à sa connaissance ; mais il n’a pas qualité pour les réprimer ; son rôle se borne à celui de surveillant sans autorité.
La réunion de l’Amin et des t’emman (pluriel de tamen) constitue ce qu’on peut appeler le pouvoir exécutif, ou, mieux encore, le comité de surveillance du village.


La Djamâa nomme en outre :

Un oukil de la mosquée, chargé de recevoir et de conserver en dépôt les revenus des biens de la mosquée.
Un imam marabout qui sert de secrétaire à la djamâa, appelle à la prière, la préside, procède aux cérémonies religieuses des mariages et des enterrements, et remplit, lorsqu’il y’a lieu, les fonction d’instituer.
Enfin un crieur public, mis à la disposition de l’Amin pour faire connaître les jours de réunion et tout ce qui intéresse les habitants, complète la liste des fonctionnaires de tout ordre d’un village Kabyle.
Toutes les fonctions sont gratuites.

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