site de l'Association Socio-Culturelle d'Ath-Bouyahia en Europe

Si Chérif Ath Mrabad Amar (Si Chérif Kab),
l'une des grandes figures de la poésie kabyle.

Un portrait de l'homme et de sa poésie

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Kab Cherif, « si Cherif » puisque ses origines maraboutiques imposent la qualité « si » (de sidi), est né dans le hameau des Aït-Bou-Yahya de la confédération des Aït-Aïssi, en 1876. Ce village est un des trente-deux nids d’aigle qui constituent au début des années 70, la commune de Béni-douala (Wilaya de Tizi-Ouzou).

Situé en centre-bas de la piste qui mène à Tizi-Hibel, village natal de Mouloud Feraoun, le groupe de maison des Aït-Bou-Yahya est d’un accès difficile. Pour atteindre d’abord le centre de Béni Douala, le chemin monte péniblement comme l’écrit avec précision l’auteur de la terre et le sang : « le village est assez laid… la route serpente avec mauvaise grâce avant d’y arriver. Elle part de la ville, cette route, et il faut 2 heures pour la parcourir… on monte, on zigzague follement au-dessus des précipices »

Aujourd’hui une nouvelle route a été construite et rend plus aisé l’accès de Béni-Douala. Une fois à Larbaa n Ath Douala, il faut emprunter une autre piste qui descend sur la gauche, au sortir du centre administratif pour gagner la djemaa (place centrale du village) encaissée entre deux mosquées. De là, le visiteur doit prendre le sentier de droite et se glisser dans une venelle, entre deux rangées de maisons étagées pour arriver, cinquante mètres plus bas, chez le poète.

Issus d’une famille nombreuse, si Cherif connaît une enfance difficile. Le père n’est pas assez riche pour offrir une alimentation de choix à ses enfants, pas même quelques chèvres à garder.

En 1884, l’administration coloniale ouvre une école à Taourirt-Moussa, in village voisin (1) : Mais le père du poète marabout hostile à toutes études qui ne soient pas coraniques, refuse d’y inscrire Si Cherif. En fait d’instruction, ce dernier recevra quelques sourates apprises par cœur sur la planche traditionnelle.

Douze ans vont s’écouler paisiblement pour Si Cherif. Existence rude et simple : travaux des champs, participation à toutes les tâches de la djemaa. Mais son tempérament résolument instable de bohême ne peut se satisfaire longtemps et sagement d’une « vie humble aux travaux ennuyeux et faciles »

Il se marie en 1905 : un an après naîtra son premier garçon, émigré en France. La grande guerre a éclaté. Le poète quitte son hameau pour l’Europe. On le retrouve sur le front de Charleroi en Belgique, à Reims et à Verdun. Blessé par les allemands a Arras, il est vite réformé.

Sitôt bien rétabli, il gagne Lyon vers la fin de 1916 ou, peut-être, de l’année suivante : le poète ne parvient à situer avec assez de précision les évènements qui ont jalonné sa vie. Il se souvient qu’entre ses deux premiers séjours à Lyon, il est venu se reposer quelques mois en Algérie. Sa première visite à Lyon lui permet de faire des connaissances utiles. C’est pourquoi il ne tarde pas à y retourner : en 1917, vraisemblablement à la fin de l’année, il est « convoyeur » de plusieurs ouvriers de son douar qu’il fait embaucher au « parc de l’artillerie » lyonnais. Dès 18 à 35, le poète fera la navette perpétuelle entre la France et l’Algérie, sans jamais pouvoir demeurer plus de trois années ininterrompues au même endroit ; seule exception : son village. Il quitte la capitale de la soie au printemps 1918 pour s’établir à Clermont-Ferrand où il obtient un emploi de manœuvre chez Michelin : c’est là qu’il réalise son tour de force en « tenant » trois ans. En 1920, il fait un bref séjour en Kabylie, après quoi il regagne Clermont qu’il quittera d’ailleurs quelques jours plus tard, ayant trouvé du travail à Saint-Étienne dans une importante fonderie, les établissements « Le Fleuve ». Nous sommes en décembre 1920. Le poète reste 13 mois à Saint Etienne. En janvier 1922, il s’embarque pour Alger. Lui-même et son frère (blessé également par les Allemands) essaient d’obtenir une licence de café maure. Neuf (9) mois après son retour au bled, Si Cherif refait sa valise ; en septembre 1922, il va de nouveau s’installer à Lyon pour 27 mois. C’est en 1925, en effet, qu’il s’est déjà implantée : Si Cherif y compte des amis. En 1926, le barde Si Cherif est ouvrier chez « Saint-Gobain », dans le 18e arrondissement. Mais il ne tarde pas à quitter la manufacture des glaces pour aller gagner sa vie dans une usine de mécanique générale, les Etablissements « Bureau Frères », rue de champion, près de Clignancourt.

Cependant, dans l’intervalle, en 1925, il fait un saut de puce à Béni-Douala : une visite-éclair pour revoir les enfants et il reprend le bateau. Revenu à paris, il « monte » sans tarder à Fouquière, près de Lens dans le Pas-de-Calais : là, les charbonnages du Nord emploient des centaines de Nord-Africains. Il descend dans la mine, mais pas pour longtemps ; car, à la suite d’une altercation avec son contremaître (un poème a été consacré à l’incident), ce bohême jaloux de sa liberté, donne un coup de pied dans le wagonnet de houille, sort de la fosse et reprend le chemin de Paris. C’est à ce moment-là qu’il revient à Saint-Gobain.

Dans la capitale, il habite un hôtel malsain où les ouvriers sont entassés à 5 ou 6 par chambre. Ses proches finissent par l’agacer à lui réclamer sans cesse des poèmes pour les amuser. Comme si Mohand, il n’aime pas s’exécuter sur commande et, surtout, divertir la galerie. Las de son entourage, il revient à Lyon en 1927. il y demeurera jusqu’en janvier 1930. C’est à cette époque-là qu’il hante la rue Paul Bert que nous retrouvons dans un poème et qu’il se lie avec un compatriote généreux, propriétaire d’un café-hôtel, Si Hadj Hamou.

Dans cette existence lyonnaise, il ouvre une brève parenthèse parisienne. En effet, en 1929, les effets fâcheux de la grande crise économique se faisant sentir, les usines ferment et Si Cherif est au chômage. Il gagne donc paris où il sollicite un job sans succès : il dépose une demande d’embauche chez « Jérôme Lami », dans le 17e arrondissement : on lui demande d’attendre. Il s’arme de patience dans l’espoir d’un travail salutaire. Mais, dans cette attente, et sur le conseil d’un ami, il s’improvise marchand ambulant de cacahuètes. Mais, très vite, inapte, il « dépose le panier ». Donc en 1930, via Lyon, il regagne l’Algérie. On lui donne en 1929 l’autorisation d’ouvrir un café maure à Béni-Douala. Cette récompense le comble au début. Il exploit le petit commerce avec son frère. Là encore, l’enthousiasme du cafetier ne dure qu’un temps. Son caractère et la lyre qui vibre en lui ne peuvent se satisfaire d’une gestion routinière et continue qui implique un sens de l’effort que le poète ne cherche même pas à avoir. Sourire aux clients, se lever le premier tous les jours de l’année, veiller sur les provisions, supporter les querelles quotidiennes des joueurs de dominos, s’attacher pour le reste de ses années à cette salle obscure : autant demander, à Si Cherif de se prendre ! en 1935, il ferme son café et on le retrouve une fois de plus à paris. Il ne s’y éternisera pas car la maladie l’oblige à rentrer à la fin de la même année.

De nouveau à Aït-Bou-Yahya, il séjourne au village pendant 5 ans. Dès qu’éclate la seconde guerre mondiale, il vient habiter près d’Alger, à Tixeraine. La situation n’est pas brillante pour lui. Il travaille irrégulièrement, vivant moins bien que mal. La France est engagée dans la guerre. L’alimentation est contrôlée et délivrée par bons. Manœuvre à tout faire, porteur, vendeur d’occasion : l’instabilité professionnelle est à l’image du reste.

En 1945, il regagne encore Beni Douala. Il a 69 ans. Il n’a jamais été un véritable cultivateur. Avec la fin du conflit, la situation s’améliore. Le travail reprend. Les enfants du poète l’aident. Dès lors, une période heureuse et stable commence pour Si Cherif. Cette retraite paisible dans sa montagne, le poète n’en jouira plus à partir des années 55, lorsque les patrouilles de chasseurs Alpins iront l’humilier jusque devant sa femme. Si Cherif vit toute la lutte armée sur les cols des Aït-Aissi. Sa dignité et celle des siens bafouée, Si Cherif, la rage au cœur, décochera un poème incendiaire par-ci par-là à l’endroit des troupes coloniales. Plusieurs des ses pièces sont consacrées aux exactions de l’armée d’occupation.


A suivre…
Extrait du livre : Anthologie de la poésie Kabyle
De Youcef Nacib